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Il l’entraîna vers le Tor mais ne s’arrêta pas près de la source. Ils poursuivirent leur chemin vers un bosquet de saules et de jeunes chênes situé plus à l’est. Myrddin semblait bien connaître la villa et ses environs. Elle se souvint que le domaine avait appartenu à Ambrosius Aurelianus qui l’avait légué à Arturus. Sans doute Myrddin y avait-il séjourné auparavant.
Ils s’assirent face à face sur le sol moussu et odorant. L’après-midi était déjà très entamé. Un vent léger effleurait les feuillages qui bruissaient. Une buse lança son cri rauque loin au-dessus des cimes.
— Qui suis-je ? interrogea Myrddin.
Elle soupira. Encore une de ces maudites énigmes !
— Tu es Myrddin, le barde d’Arturus.
— Qu’est-ce qu’un barde ? Quel est son rôle ?
Les questions étaient trop faciles. Azilis connaissait parfaitement la fonction du barde. Il devait y avoir un piège, mais lequel ?
— Il doit célébrer les actions guerrières par des chants héroïques. Chanter des louanges ou des satires en s’accompagnant d’une harpe. Et connaître la généalogie des rois et des batailles de son clan.
— Est-ce ce que je vais t’apprendre ? Est-ce ce que j’ai commencé à t’enseigner ?
Elle le fixa, interloquée.
— Eh bien… non. Enfin, je ne crois pas !
— Alors, qui suis-je ? Réfléchis.
Elle resta muette, le dévisageant sans trouver la réponse à une question qu’elle aurait dû se poser plus tôt.
« Il faut interroger les évidences, lui avait souvent répété son père. C’est l’essence de la philosophie. » Elle avait mal suivi ce conseil.
— Tu es peut-être un druide, risqua-t-elle.
— Bien sûr, admit-il. Les bardes appartiennent à la caste des druides. Mais si tu songes aux druides bretons qui enseignaient la religion, les sciences et la philosophie, ceux-là ont été exterminés par tes ancêtres romains il y a plus de trois cents ans. Ils les craignaient davantage que nos guerriers.
— Je n’ai pas seulement des ancêtres romains, protesta-t-elle. Mon cousin était barde, et notre grand-père, et d’autres de notre famille avant eux !
— Je le sais. Sinon, je ne pense pas que tu serais ici.
— Alors finis-en avec tes devinettes et dis-moi qui tu es !
Myrddin éclata de rire.
— Comme tu es impatiente ! Et autoritaire ! Si je dois te fournir les réponses avant que tu aies posé les bonnes questions, mon enseignement n’aura guère de prix.
Elle s’efforça de se calmer. Il avait raison, elle le savait. C’était profondément agaçant. Très stimulant aussi. Il la fixait de son regard bicolore où luisait une pointe d’ironie.
« Je connais la marche des astres et le langage des pierres dressées, je peux quitter mon corps et voyager dans l’espace et le temps… »
Voilà ce qu’il lui avait murmuré, à Sorviodunum, elle en était certaine.
— Tu es un mage, suggéra-t-elle. Non, un initié ! Tu m’as dit que tu compléterais mon initiation, donc c’est que tu es un initié ! Mais à quoi ? À la magie, sans doute. Est-ce la bonne réponse ?
— En quelque sorte.
Il se pencha vers elle et prit ses mains dans les siennes.
— Ce que je vais te révéler à mon sujet, Niniane, peu de gens le savent. Je te demande de n’en rien dire à personne. Pas même à ton amant. Le secret de mes origines fait partie du mystère dont je m’entoure. Tu entendras peut-être d’étranges légendes à mon sujet. On raconte que je suis né de l’union d’une vierge et d’un démon. Que je parlais dès ma naissance. Que j’ai plus de cent ans. Ne détrompe jamais ceux qui racontent ces bêtises car, sans le savoir, ils augmentent mon pouvoir. En te livrant la vérité, je m’affaiblis. Le comprends-tu ? Alors jure-moi de garder ces révélations secrètes.
— Je te le jure, Myrddin.
— Bien, fit-il en lui lâchant les mains. Sais-tu que l’on raconte déjà de surprenantes histoires à ton sujet ?
— Ma cuisinière en mijote chaque jour, marmonna Azilis, non sans rancœur. C’est le plat qu’elle cuisine le mieux.
Elle n’avait toujours pas pardonné à Gwyar ses prédictions funestes au sujet de Kian.
— Eh bien, c’est parfait ! Plus il y aura de rumeurs à ton sujet, plus forte tu seras. Une grande partie de notre pouvoir sur les autres est issue de la crainte respectueuse que nous leur inspirons. Ils se persuadent seuls de notre puissance !
Azilis se remémora la peur que Rhiannon provoquait chez Kian, qui ne pouvait pourtant pas être taxé de couardise. Le jeune homme préférait affronter des guerriers francs plutôt que de franchir la porte de l’Ancienne de la forêt.
Myrddin reprit :
— Laisse-moi te parler de mon enfance…